Office européen des brevets, Grande Chambre de recours - SUMITOMO CHEMICALl Company, Limited c/ SYNGENTA Limited
Date de la décision
23-03-2023
N° de la décision
G 0002/21
Type de jurisprudence
Brevets
Juridiction
Office européen des brevets, Grande Chambre de recours
Parties
SUMITOMO CHEMICALl Company, Limited c/ SYNGENTA Limited
Un effet technique peut être invoqué pour justifier l’activité inventive si l’homme du métier, avec ses connaissances générales et en se fondant sur la demande telle que déposée, déduirait cet effet comme « (i) étant englobé dans l’enseignement technique et (ii) faisant partie de la même invention initialement divulguée ».
La Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (ci-après OEB) a été saisie par la Chambre de recours technique 3.3.02 (T116/18) pour déterminer si des éléments de preuve, par exemple des rapports d’essais comparatifs, non accessibles au public avant la date de dépôt d’une demande de brevet et produits après cette date, peuvent être pris en compte aux fins de l’examen de l’activité inventive lorsque la preuve de l’effet technique repose exclusivement sur ces éléments.
En effet, dans le domaine de la chimie et des sciences de la vie, il est courant de déposer, en soutien de l’approche problème/solution, un rapport expérimental démontrant l’existence d’un effet technique lié à la caractéristique distinguant l’invention revendiquée de l’état de la technique le plus proche. Toutefois, la démonstration postérieure de l’existence d’un effet technique pose la question de la plausibilité de cet effet au moment du dépôt de la demande de brevet.
La Chambre de recours, à l’origine de la saisine, a relevé trois grandes lignes de jurisprudence sur le sujet de la prise en compte des preuves accessibles au public après le dépôt d’une demande de brevet :
1) Plausibilité ab initio : la prise en compte des preuves ultérieures nécessite que l’homme du métier ait des raisons de considérer que l’effet technique est atteint, sur la base de la demande telle que déposée ou de ses connaissances générales à la date du dépôt, par exemple grâce à des explications scientifiques ou des données expérimentales (T1329/04, T609/02, T488/16),
2) Non-plausibilité ab initio : les preuves ultérieures ne peuvent être écartées que si l’homme du métier avait des raisons légitimes de douter que l’effet technique pouvait être obtenu à la date de dépôt (T919/15, T578/06, T2015/20),
3) Non-plausibilité : cette 3e ligne rejette le concept de plausibilité au motif que ne pas tenir compte de preuves ultérieures serait incompatible avec l’approche problème-solution, qui parfois impose de reformuler le problème technique à la lumière de documents qui ne sont pas cités dans le brevet (T2371/13).
Il est donc demandé à la Grande Chambre de recours de décider si une preuve publiée après le dépôt peut être rejetée au motif que l’effet technique allégué repose exclusivement sur elle, contrevenant en cela au principe de libre appréciation des preuves, et, dans l’affirmative, si c’est le concept de plausibilité ab initio ou bien de non-plausibilité ab initio qui doit être appliqué.
Dans sa décision, la Grande Chambre de recours qualifie le principe de la libre appréciation des preuves en tant que principe universellement applicable pour l’évaluation des moyens de preuve selon la Convention sur le brevet européen (ci-après CBE).
Il en résulte qu’un moyen de preuve soumis pour prouver un effet technique, en soutien de l’activité inventive, ne peut pas être rejeté pour la seule raison qu’il a été publié après le dépôt du brevet.
La Grande Chambre de recours considère par ailleurs que le concept de plausibilité n’est pas un concept ou une exigence spécifique qui relève de la CBE. Il s’agit simplement d’une formulation qui a été développée par la jurisprudence.
Selon la Grande Chambre de recours, le critère pertinent pour s’appuyer sur un prétendu effet technique lors de l’évaluation de l’activité concerne la question de savoir ce que l’homme du métier, avec ses connaissances générales, comprendrait, à la date de dépôt de la demande telle que déposée initialement, comme étant l’enseignement technique de l’invention revendiquée. L’effet technique invoqué, même à un stade ultérieur, doit être englobé par cet enseignement technique et incarner la même invention, parce que cet effet ne change pas la nature de l’invention revendiquée.
Enfin, bien que non saisie de cette question, la Grande Chambre de recours élargit sa réflexion au cas de la suffisance de description des revendications de deuxième application thérapeutique. Elle relève que le critère de plausibilité a pu être utilisé dans ce cas par les chambres de recours. En effet, l’effet thérapeutique étant une caractéristique technique de la revendication, la question de la preuve de cet effet est une question de suffisance de description.
La Grande Chambre conclut que la possibilité de s’appuyer sur une preuve post-dépôt est plus limitée pour la suffisance de description que pour l’activité inventive. Pour satisfaire au critère de suffisance de description, la preuve de l’effet thérapeutique doit être fournie dans la demande telle que déposée, en particulier si, en l’absence de données expérimentales dans la demande telle que déposée, il ne serait pas crédible pour l’homme du métier que l’effet thérapeutique soit obtenu. Une preuve post-dépôt ne peut remédier à ce manque.