Cour de cassation, Chambre commerciale - DAIICHI c/ BIOGARAN, INPI et autres
Date de la décision
06-09-2023
N° de la décision
21-25.143
Type de jurisprudence
Brevets
Pays
France
Juridiction
Cour de cassation, Chambre commerciale
Parties
DAIICHI c/ BIOGARAN, INPI et autres
Validité de la notification de la décision de déchéance au mandataire constitué pour déposer le CCP – Le paiement des annuités par un autre mandataire ne vaut pas constitution.
La société BIOGARAN est une entreprise pharmaceutique française spécialisée dans les médicaments génériques.
La société DAIICHI est une société japonaise de recherche-développement de l’industrie pharmaceutique et de fabrication de molécules et médicaments.
La société DAIICHI était titulaire d’un brevet n° FR 2483 912, déposé le 5 juin 1981, portant sur un médicament anti-cholestérol dont le principe actif est la pravastatine (ci-après le Brevet).
Elle a déposé, le 19 mai 1992, par l’intermédiaire de son cabinet de conseils en propriété industrielle Lavoix, une demande de certificat complémentaire de protection (ci-après CCP) visant à prolonger les droits conférés par le Brevet, sous le numéro 92C0224.
Le CPP a été délivré le 26 août 1992 et venait à expiration le 10 août 2006, conformément aux dispositions de l’article L.611-2, 3° du Code de la propriété intellectuelle.
La société DAIICHI, à travers son nouveau conseil en propriété industrielle, le cabinet Weinstein, a payé dans les délais légaux les six annuités pour maintenir en vigueur le CCP entre mai 2001 et juin 2006.
L’institut national de la propriété industrielle (ci-après INPI) a encaissé l’intégralité de ces annuités et remis des récépissés attestant de ces paiements au cabinet Weinstein.
Toutefois, en raison d’un dysfonctionnement informatique, le Directeur de l’INPI a rendu, le 26 janvier 2005, une décision à l’égard de la société DAIICHI constatant la déchéance de ses droits sur le CCP n° 92C0224 en raison du non-paiement de la quatrième annuité.
Cette décision a été notifiée au cabinet Lavoix par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 27 janvier 2005 et mentionnée au bulletin officiel de la propriété industrielle (ci-après BOPI) le 25 mars 2005.
La décision de déchéance a été inscrite au Registre national des brevets, au mois de juin 2006.
Le 28 juin 2006, la société DAIICHI a déposé auprès du Directeur général de l’INPI un recours gracieux demandant l’annulation de la décision de constatation de déchéance du CCP du 26 janvier 2005 considérant que celle-ci n’était pas fondée.
Le 3 juillet 2006, le Directeur général de l’INPI a rejeté la requête de la société DAIICHI.
La société DAIICHI a interjeté appel de cette décision et la société Teva est intervenue dans cette procédure d’appel.
Compte tenu de la décision constatant la déchéance des droits de la société DAIICHI sur le CCP, la société BIOGARAN a commencé à commercialiser un médicament générique de la pravastatine en juillet 2006.
Par arrêt du 14 mars 2007, la Cour d’appel de Paris a annulé :
- la décision rendue par le Directeur général de l’INPI le 3 juillet 2006 rejetant le recours gracieux intenté par la société DAIICHI,
- la décision constatant la déchéance du CCP du 26 janvier 2005.
Le Directeur général de l’INPI et la société Teva ont formé un pourvoi en cassation contre la décision rendue par la Cour d’appel de Paris.
La Cour de cassation a rejeté les pourvois en cassation de l’INPI et de la société Teva par décision du 1er juillet 2008.
Le 7 juillet 2008, la société DAIICHI a fait inscrire au Registre national des brevets cette décision de la Cour de cassation confirmant la nullité rétroactive de la décision de déchéance du Directeur général de l’INPI concernant le CCP.
Dans le prolongement de cette décision, la société DAIICHI a fait assigner, par exploit du 14 avril 2009, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, la société BIOGARAN en contrefaçon de son CCP n° 92C0224, et subsidiairement en concurrence déloyale.
Aux termes de cette assignation, la société DAIICHI reprochait à la société BIOGARAN d’avoir commercialisé, à la suite des décisions de l’INPI des 26 janvier 2005 et 3 juillet 2006, sa pravastatine générique avant que le CCP ne tombe dans le domaine public, soit avant le 10 août 2006.
Parallèlement à cette procédure, la société BIOGARAN a assigné la société DAIICHI devant la Cour d’appel de Paris, par acte du 11 février 2011, formant tierce opposition à l’encontre de l’arrêt du 14 mars 2007 qui avait annulé les deux décisions prises par l’INPI les 26 janvier 2005 et 3 juillet 2006.
Par arrêt du 29 février 2012, et statuant sur le recours en tierce opposition de la société BIOGARAN et des autres génériqueurs, la Cour d’appel de Paris a déclaré recevable la tierce opposition formée par la société BIOGARAN mais l’a déboutée de sa demande en rétraction de l’arrêt du 14 mars 2007.
La société BIOGARAN a donc formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt rendu le 25 juin 2013, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l’arrêt de la Cour d’appel du 29 février 2012.
Par décision du 27 octobre 2017, la Cour d’appel de renvoi a rétracté un motif de l’arrêt rendu le 14 mars 2007 par la Cour d’appel de Paris.
Les Parties ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et par décision du 4 décembre 2019, la Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt du 27 octobre 2017, notamment en ce qu’il a rétracté non pas le dispositif mais un motif de l’arrêt du 14 mars 2007.
En suite de cet arrêt, la société BIOGARAN a saisi la Cour d’appel de renvoi.
Par trois arrêts du 21 mai 2021, la Cour d’appel de Paris a :
- rétracté le dispositif de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2007,
- rejeté le recours formé par la société DAIICHI à l’encontre des décisions du Directeur général de l’INPI en date des 26 janvier 2005 et 3 juillet 2006,
- rejeté la demande subsidiaire de la société DAIICHI visant à voir juger que seule[s] [les sociétés BIOGARAN, Arrow Génériques et Mylan] tiers opposante[s], bénéficie[nt] des effets de la rétractation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2007,
- rejeté toutes autres demandes des Parties contraires à la motivation […].
La société DAIICHI a formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, reprochant notamment à la Cour d’appel d’avoir jugé que la notification faite au premier mandataire, le cabinet Lavoix, était valable et avait ainsi fait courir les délais de recours, alors que les annuités avaient été payées par un second mandataire, le cabinet Weinstein.
Selon la société DAIICHI, la notification de déchéance aurait dû être faite à ce second mandataire.
Par arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société DAIICHI considérant que la Cour d’appel avait constaté :
- qu’en application des textes en vigueur, la société DAIICCHI avait l’obligation de constituer un mandataire ayant son domicile, son siège ou établissement en France ;
- que la société DAIICHI avait désigné comme mandataire le cabinet Lavoix selon un pouvoir donné en termes généraux, ne comportant aucune stipulation contraire expresse, selon laquelle il n’aurait pas été étendu à la réception des notifications de l’INPI ;
- qu’au jour du paiement de la 4ème annuité, la société DAIICHI avait toujours l’obligation de constituer un mandataire situé en France, indépendamment de la dispense, pour les conseils en propriétaire industriel, de justifier d’un pouvoir ;
- que le seul paiement des annuités par un autre cabinet de conseil en propriétaire industriel ne vaut pas constitution d’un nouveau mandataire ;
- qu’en l’espèce, aucune information n’avait été délivrée à l’INPI concernant un changement de mandataire constitué, soulignant que les récépissés de redevance, établis jusqu’en mai 2005, ne faisaient pas mention de la qualité de mandataire de la société Weinstein.
La Cour de cassation conclut donc que la Cour d’appel a exactement déduit qu’aucune constitution de nouveau mandataire n’étant intervenu, le cabinet Lavoix était resté le seul mandataire constitué en France pour le compte de la société DAIICHI au jour de la notification de la décision de déchéance.