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Affaire PETRUS entre le juge pénal et le juge civil, qui tient les clés du paradis ?

« Avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois. Et en y réfléchissant, il pleurait » (Mc 14, 72).

La justice civile vient de renier les marques "Petrus Lambertini", malgré l’issue, pourtant victorieuse, du contentieux devant les juridictions pénales il y a quelques années. La Société "Petrus", qui tire son nom du lieu-dit de l’exploitation viticole, nommé après saint Pierre, représenté sur la prestigieuse étiquette, la clé du paradis dans la main, a de quoi se réjouir.

De prime abord, ce nouveau retentissement de l’affaire "Petrus Lambertini" pourrait surprendre. On se souvient qu’après avoir été condamnés par le tribunal correctionnel de Bordeaux en 2016, pour pratiques commerciales trompeuses, la société de commercialisation du vin "Petrus Lambertini" et ses gérants ont été relaxés en 2018 par la cour d’appel de Bordeaux, ce qu’a confirmé en 2019 la Cour de cassation.

Et voilà que le domaine Petrus décide d’attaquer à nouveau mais cette fois-ci en corrigeant le tir et en demandant au juge civil de déclarer la nullité des marques françaises "Petrus Lambertini" (une verbale et une semi-figurative), de juger que ces marques portent atteinte à la renommée de la marque française "Petrus" et, enfin, de reconnaître les sociétés défenderesses responsables d’actes distincts de parasitisme au préjudice du domaine Petrus.

Par son arrêt du 16 mai 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux parvient à "déverrouiller" (!) l’autorité de la chose jugée des juridictions pénales, en s’appuyant sur le fait que la condamnation pénale, puis la relaxe ne concernaient que la prévention de pratiques commerciales trompeuses. Ainsi, le juge civil parvient à dégager le chemin pour affirmer, d’une part, le caractère évocateur et donc la déceptivité de la marque semi-figurative "Petrus Lambertini" (où des clés sont représentées) et, d’autre part, la nullité des marques litigieuses du fait de l’atteinte à la renommée de la marque "Petrus". Sur ce dernier point, le juge n’a pas manqué de souligner en l’espèce la «dilution et (la) banalisation de la marque, particulièrement dans le secteur concurrentiel du vin».

Si la partie défenderesse a décidé de contre-attaquer par une série de demandes reconventionnelles, cherchant à faire déclarer la nullité des marques "Petrus", le juge judiciaire les a balayées d’un revers de la main. Les arguments ont pourtant été riches : contraintes liées aux marques domaniales, évocation religieuse et d’emblèmes officiels (du fait de la représentation de clés, symbole de l’église catholique et de l’Etat du Vatican), Loi Evin et fonction publicitaire de la marque… Cependant, aucun n’est parvenu à infléchir le raisonnement du juge de Bordeaux qui conclut à la nullité des deux marques litigieuses et condamne la partie défenderesse au paiement de 500.000 euros au titre du préjudice moral et 680.000 euros au titre du bénéfice réalisé par l’acte de contrefaçon.

On retiendra que le juge civil nous explique en l’occurrence que le fait d’être relaxé pour des pratiques commerciales trompeuses ne signifie pas qu’on reste à l’abri d’une condamnation en civil pour parasitisme. Ou, pour être plus précis, «une ‘habileté’ ou une ‘malignité’ (sic !) [pour faire ressortir les prénom et nom "Petrus Lambertini" dans la marque] non pénalement fautive n’exclut pas l’évocation de la marque prestigieuse pour le consommateur du terme "Petrus"». Si la distinction paraît habile, on ne peut qu’admettre que la ligne de démarcation entre le raisonnement en pénal et en civil est, pour le moins, fine et relève d’une démarche moralisatrice dans l’appréciation des pratiques commerciales.

Le prochain rendez-vous judiciaire sera sans doute à la cour d’appel de Bordeaux, dont la réponse sera attendue avec beaucoup d’intérêt. Tu es Petrus (…). Et tibi dabo claves Regni coelorum*.

* Tu es Pierre (…) Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux.