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Cour d’Appel de Paris - SAS SANTEN c/ INPI


Date de la décision

09-10-2018

N° de la décision

RG 17/19934

Type de jurisprudence

CCP

Pays

France

Juridiction

Cour d’Appel de Paris

Parties

SAS Santen c/ INPI



Seconde application thérapeutique et CCP - Gérard Dossmann, Conseil en Propriété Industrielle et Mandataire en Brevets Européens, commente l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 9 octobre 2018 qui pose une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation de l’article 3d) du règlement (CE) No. 469/2009 à la lumière de l’arrêt NEURIM (CJUE C-130/11).

Rappel des faits :

L’objet du brevet SANTEN :

L’utilisation d’une émulsion ophtalmique huile-dans-eau de type submicronique comprenant un agent immunosuppresseur sélectionné dans le groupe constitué de la ciclosporine, du sirolimus et du tacrolimus, selon la revendication 21 la substance active est la ciclosporine A, pour la préparation d’une composition ophtalmique pour le traitement de maladies oculaires telles que (...) la kératite (...). Le brevet porte également sur des compositions non limitées à la maladie à traiter et le traitement d’autres maladies oculaires.

L’AMM de SANTEN :

Autorisation de mise sur le marché communautaire en date du 19 mars 2015 pour le médicament Ikervis® qui comprend comme principe actif la “ciclosporine”. Ce médicament se présente sous la forme d’un collyre en émulsion contenant, pour 1 ml, 1 mg de ciclosporine ; il est administré par dose d’une goutte dans l’oe®il et permet de traiter la kératite sévère qui est une inflammation de la cornée, partie antérieure du globe oculaire.

L’AMM antérieure :

Le 23 décembre 1983 avait été délivrée une autorisation de mise sur le marché pour un médicament Sandimmun® dont la substance active était déjà la ciclosporine ; ce médicament se présentait sous la forme d’une solution buvable contenant, pour 1 ml, 100 mg de ciclosporine Il avait plusieurs indications thérapeutiques, d’une part dans la prévention du rejet de greffes d’organes solides ou de moelle osseuse, d’autre part hors greffe, dont le traitement de l’uvéite endogène, laquelle constitue une inflammation de tout ou partie de l’uvée, partie centrale du globe oculaire ;

L’objet du CCP de SANTEN :

« Ciclosporine pour son utilisation dans le traitement de la kératite ».

La décision de rejet du CCP par le Directeur de l’INPI :

L’autorisation de mise sur le marché du 19 mars 2015 n’est pas la première pour le principe actif “ciclosporine” au sens de l’article 3. d) du règlement CE 469/2009, dès lors que le 23 décembre 1983 avait déjà été délivrée une autorisation de mise sur le marché pour le médicament Sandimmun ® dont la substance active était aussi la ciclosporine.

Le brevet de base invoqué ne protège pas seulement une application nouvelle de la ciclosporine (revendications 23-24), mais également et principalement une émulsion ophtalmique huile-dans-eau de type submicronique comprenant une substance active, dont la ciclosporine (revendications 1-21, 25-26).

Il n’est pas démontré que l’application médicale de l’AMM pour la spécialité Ikervis constituait une nouvelle application thérapeutique, au sens de la jurisprudence NEURIM, par rapport à la spécialité Sandimmun®, toutes deux ayant trait au traitement d’inflammations dans le domaine ophtalmologique.

L’arrêt NEURIM du 19 juillet 2012 CJUE, C-130/11 :

La Cour avait dit pour droit :

« Les articles 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments, doivent être interprétés en ce sens que, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, la seule existence d’une autorisation de mise sur le marché antérieure obtenue pour le médicament à usage vétérinaire ne s’oppose pas à ce que soit délivré un certificat complémentaire de protection pour une application différente du même produit pour laquelle a été délivrée une autorisation de mise sur le marché, pourvu que cette application entre dans le champ de la protection conféré par le brevet de base invoqué à l’appui de la demande de certificat complémentaire de protection. »

La situation juridique en Europe :

La CJUE n’ayant pas donné d’indication quant à ce que recouvre la notion de nouvelle utilisation thérapeutique, celle-ci a été appréhendée de manière différente par les offices des différents états membres de l’UE ;

  • - l’office néerlandais l’a strictement limitée au cas d’espèce de l’affaire NEURIM (AMM humaine contre AMM vétérinaire),
  • - le juge britannique est allé jusqu’à s’interroger sur la nécessité d’y englober des formulations nouvelles de produits connus et a posé une question préjudicielle à la CJUE.
  • - La France au niveau de l’INPI applique la jurisprudence de façon mesurée,
    • en exigeant que le brevet de base soit limité comme dans le cas de NEURIM à l’objet de l’AMM invoquée, et
    • que l’AMM une indication relevant d’un nouveau champ thérapeutique, au sens d’une nouvelle spécialité médicale, par rapport à l’AMM antérieure, ou un médicament dans lequel le principe actif exerce une action différente de celle qu’il exerce
  • - dans le médicament ayant fait l’objet de la première AMM

La problématique posée à la cour d’appel :

Il apparaît que les deux médicaments :

  • - ont trait tous deux :
    • au traitement d’inflammations de parties de l’oeil chez l’humain,
    • par le même mécanisme d’action anti-inflammatoire de la ciclosporine
  • - ils diffèrent :
    • par leurs indications thérapeutiques :
      • kératite (inflammation de la partie antérieure du globe oculaire)
      • uvéite (inflammation de la partie centrale du globe oculaire) ;
    • par leur formulation :
      • émulsion huile dans eau submicronique
      • solution buvable ;
    • leur dosage :
      • 1mg de ciclosporine dans 1 ml d’émulsion
      • 100mg dans 1 ml de solution ;
    • leur posologie.

Les questions préjudicielles posées par la cour d’appel de Paris :

1 - la notion d’application différente au sens de l’arrêt NEURIM du 19 juillet 2012 CJUE, C-130/11, doit-elle s’entendre de manière stricte, c’est à dire :

  • - être limitée au seul cas d’une application humaine faisant suite à une application vétérinaire,
  • - ou concerner une indication relevant d’un nouveau champ thérapeutique, au sens d’une nouvelle spécialité médicale, par rapport à l’AMM antérieure,
  • - ou un médicament dans lequel le principe actif exerce une action différente de celle qu’il exerce dans le médicament ayant fait l’objet de la première AMM ;
  • - ou plus généralement, au regard des objectifs du règlement (CE) n° 469/2009 visant à mettre en place un système équilibré prenant en compte tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, être appréciée selon des critères plus exigeants que ceux présidant à l’appréciation de la brevetabilité de l’invention ;
  • - ou doit-elle au contraire s’entendre de manière extensive, c’est à dire incluant non seulement des indications thérapeutiques et des maladies différentes, mais encore des formulations, posologies et/ou modes d’administration différents.

2 - la notion d’application entrant dans le champ de protection conféré par le brevet de base au sens de l’arrêt NEURIM du 19 juillet 2012 CJUE, C-130/11, implique-t-elle que la portée du brevet de base devrait concorder avec celle de l’AMM invoquée et, par conséquent, se limiter à la nouvelle utilisation médicale correspondant à l’indication thérapeutique de ladite AMM.

Les questions posées à la CJUE sont donc de portées différentes.

1- La première vise à définir ce qu’il faut entendre par nouvelle application thérapeutique protégedans le cadre des CCP :

  • - Humaine par rapport à animale
  • - Relevant d’un nouveau champ thérapeutique, implicitement dans le domaine humain,
  • - Au niveau de l’action du principe actif dans le médicament,
  • - Faut–il appliquer des critères plus exigeants que ceux présidant à l’appréciation de la brevetabilité ?
  • Suffit-il que
    • la formulation,
    • la posologie ou
    • le mode d’administration

soient différents.

Pour mémoire, les Chambres de Recours de l’OEB admettent que la seconde application thérapeutique peut résulter d’un nouveau groupe de patients, d’un effet technique différent, d’un nouveau mode d’administration, d’une nouvelle posologie.

2 -La seconde question concerne la portée du brevet de base.

Le brevet de base devrait –il être limité à la nouvelle application thérapeutique de l’AMM invoquée dans le CCP ?

La question peut se poser de la date de l’appréciation d’un tel critère.

Est-ce au moment du dépôt de la demande, de la délivrance ou à la suite d’une limitation post délivrance qui a un effet rétroactif, requise au moment de la délivrance de l’AMM ou du dépôt de la demande de CCP.