Première décision de la JUB sur un brevet de seconde utilisation médicale, rendue par la division locale de Düsseldorf (13 mai 2025, UPC_CFI_505/2024)
La Juridiction unifiée du brevet a rendu, le 13 mai 2025, par sa division locale de Düsseldorf, la toute première décision portant sur une revendication de seconde utilisation médicale.
Le litige opposait la société Regeneron Pharmaceuticals Inc., titulaire du brevet EP 3 536 712 B1, et son licencié exclusif, la société Sanofi Biotechnology SAS, exploitant l’anticorps anti-PCSK9 « Praluent », aux 7 entités européennes du groupe Amgen commercialisant l’anticorps concurrent « Repatha ».
Estimant que ce dernier conduisait au même usage thérapeutique, Regeneron et Sanofi ont, le 30 novembre 2023, engagé une action en contrefaçon (ACT_597355/2023) devant la Division locale de Düsseldorf, assortie de demandes d’interdiction, de rappel, de destruction, de communication d’informations commerciales et de dommages-intérêts.
Amgen a répliqué par une demande reconventionnelle en révocation du brevet (CC_24999/2024), contestant la priorité, la nouveauté, l’activité inventive, la suffisance et invoquant aussi des motifs d’extension de l’objet du brevet au-delà de la demande telle que déposée.
Au cœur du débat se trouvait la revendication 1, dite de seconde application thérapeutique au sens de l’article 54(5) CBE, à savoir l’utilisation d’un inhibiteur de PCSK9 pour réduire la lipoprotéine(a) [Lp(a)] chez un patient présentant (1) un taux de Lp(a) > 30 mg/dL, (2) un risque cardio-vasculaire ou thrombotique, (3) aucune thérapie par statine.
La Division locale a d’abord statué sur la qualité à agir des demanderesses, au regard des articles 47(2) et 47(4) AJUB. S’appuyant sur deux accords de licence (HE 38, HE 56), un accord croisé de licence ainsi que de commercialisation pour l’anticorps Praluent (PCLCA, BP 73), elle a confirmé que Sanofi bénéficiait d’une licence exclusive, qui conférait à chaque entité habilitée le droit d’ester en justice.
L’argument d’Amgen, reposant sur une prétendue « ignorance » quant à l’authenticité ou à la portée de ces contrats, a été écarté : la règle 171.2 RdP exige une contestation circonstanciée, preuves à l’appui, ce qui faisait défaut. En conséquence, la cour a reconnu la qualité à agir tant du titulaire du brevet (Regeneron) que du licencié exclusif (Sanofi).
La Division locale a ensuite rappelé ce qu’était une seconde application thérapeutique, à savoir « une substance ou une composition au sens de l’article 54(4) CBE (pour une utilisation dans un procédé de traitement = première utilisation médicale) utilisée pour toute utilisation spécifique qui n’est pas comprise dans l’état de la technique. Une telle nouvelle utilisation thérapeutique peut être une nouvelle indication, par exemple une maladie qui n’est pas encore traitée par la substance revendiquée, ou une indication pour un nouveau groupe de patients. »
En l’espèce, la Division locale a rejeté la demande en révocation du brevet :
Sur la validité de la priorité
La priorité a été jugée valablement revendiquée car tous les éléments de la revendication 1 du brevet et notamment la combinaison « patient non sous statine + Lp(a) > 30 mg/dL » figuraient explicitement dans la demande prioritaire ainsi que les différentes pièces soumises (Tableau 3B et revendications 11 et 27).
Sur la nouveauté fictive (art. 54(5) CBE)
La Division locale a rappelé que, pour une seconde utilisation thérapeutique, la nouveauté ne portait pas sur la molécule elle-même (déjà connue) mais sur son « usage thérapeutique spécifique ». Il ne s’agissait pas ici de déterminer si l’anticorps PCSK9 était nouveau, mais bien de voir si son utilisation ciblée pour réduire le Lp(a) l’était.
La Division locale a en conséquence considéré que même si les anticorps anti-PCSK9 étaient déjà décrits pour abaisser le LDL-cholestérol, leur emploi ciblé pour réduire les taux de Lp(a) constituait une nouveauté au sens de l’article 54(5) CBE, sans qu’il soit nécessaire de fournir un document antérieur montrant ce nouvel usage.
Sur l’activité inventive
La Division local a considéré qu’en 2011, la communauté scientifique ignorait si le récepteur LDL-R participait à l’élimination de Lp(a).
Faute d’indice convaincant (les rares données cliniques étaient contradictoires, et les études génétiques n’indiquaient aucune baisse de Lp(a) chez les porteurs de mutations inactivant PCSK9), la personne du métier n’avait aucune raison de tester un inhibiteur de PCSK9 pour réduire Lp(a), a fortiori chez des patients à risque, non traités par statine et affichant Lp(a) > 30 mg/dL.
La solution revendiquée a été jugée comme ne découlant donc pas de manière évidente de l’état de la technique et l’activité inventive a été reconnue.
Sur la suffisance de la description
« Dans le cas d’une revendication de seconde utilisation thérapeutique, l’“usage” revendiqué (fondé sur un effet thérapeutique) fait partie intégrante de la revendication ; dès lors, cet usage (y compris l’effet thérapeutique) doit être divulgué dans le brevet, de façon suffisamment claire, complète et reproductible, considéré dans son ensemble ».
Appliquant ce principe, la Division locale a jugé la divulgation suffisante : le Tableau 3B attestait d’une baisse moyenne de – 43,8 % de Lp(a) par rapport au placebo chez les patients non traités par statine après 57 jours d’administration de l’anticorps anti-PCSK9. Un tel résultat, directement lié à l’effet thérapeutique revendiqué, permettait à la personne du métier de reproduire l’invention sans difficulté excessive, satisfaisant ainsi l’article 83 CBE.
Sur la conformité à l’article 123(2) CBE
La Division locale a rappelé le principe établi dans la décision CoA, Decision of 14 Feburary 2025 – Abbott v. Sibio, selon lequel « la Cour doit donc d’abord déterminer ce que la personne du métier pourrait déduire directement et sans ambiguïté, en se fondant sur ses connaissances générales et en considérant objectivement et par rapport à la date de dépôt, à partir de l’ensemble de la demande telle que déposée, l’objet implicitement divulgué, c’est-à-dire tout élément qui découle clairement et sans ambiguïté de ce qui est explicitement mentionné, devant également être considéré comme faisant partie de son contenu. ».
En l’espèce, la Division locale a estimé que la combinaison « patient non traité par statine et présentant un Lp(a) > 30 mg/dL » figurait déjà, telle quelle, dans la demande initiale : elle ressortait du Tableau 3B et des revendications. Aucun passage n’écartait ou déconseillait cette association. La revendication 1 du brevet se contentait donc de préciser, sans ajouter de nouvelle information, une configuration explicitement (ou implicitement) divulguée. La Division locale en a déduit que la condition de l’article 123(2) CBE est remplie.
Sur la contrefaçon, la Division a jugé que dans le domaine des brevets de seconde application thérapeutique, il doit être établi que le contrefacteur (i) offre ou met le produit sur le marché de façon à conduire ou pouvoir conduire au but thérapeutique revendiqué (critère objectif), (ii) en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu’il en résultera cet usage (critère subjectif).
En l’espèce, le RCP du médicament « Repatha » litigieux ne mentionnait l’indication thérapeutique revendiquée - la réduction de Lp(a) - qu’au titre des données pharmacodynamiques, l’indication autorisée ne visait que la baisse du LDL-C et aucune preuve de promotion active ni de prescriptions ciblant le Lp(a) n’avait été apportée.
La contrefaçon a donc été écartée, les deux éléments nécessaires à la caractérisation de la contrefaçon (objectif et subjectif) faisant défaut.
Enfin, les frais ont été partagés, Sanofi-Regeneron supportant ceux de l’action principale en contrefaçon et Amgen ceux de l’action en révocation, chacun dans la limite de 1 875 000 € (plafond JUB).
Plus d’informations sur www.upc-casalonga.eu.